AVERTISSEMENT: Vous pouvez lire une version de cet article moins encombrée de digressions, considérations personnelles et conseils de beauté sur Rana Toad . Il y est en outre fusionné avec un autre ouvrage à propos du groupe: http://ranatoad.blogspot.com/2009/09/eddie-are-you-kidding-iron-maiden.html
Morceaux d’esprit est le résultat d’un travail universitaire, fait seulement détectable à première vue par le sous-titre. Jean-Philippe Petesch a ainsi accompli quelque chose à laquelle je n’ai jamais pensé, malgré notre parcours commun de fans d'Iron Maiden ayant suivi des études d’anglais. Démarche si sérieuse et si cadrée, probablement, qu’il m’aurait été difficile de rester objectif. Je ne pense tout simplement pas que mon intérêt pour les paroles du groupe ait un jour atteint ce stade. Elles ont toujours été à mon sens étrangères à tout aspect scolaire. Et puis surtout je ne m’y suis jamais attardé plus d’une semaine après l’achat d’un album.
Dans sa forme, Morceaux d’esprit est une présentation systématique et chronologique des chansons de chaque album du groupe, jusqu’au dernier en date, A Matter Of Life and Death. Auparavant, les cent premières pages ont été consacrées aux précisions que tout effort universitaire est en droit d’attendre : remerciements, introduction, présentation du corpus, documents d’appui, glossaire et liste des thèmes et références. Passages obligés qui à eux seuls m’auraient découragé à aller plus loin si je m’étais lancé dans un tel exercice. Justifier tous les termes que l’on choisit d’utiliser, recracher des références analytiques que le jury connaît par cœur et autres précisions qu’il m’aurait été laborieux d’établir, ce côté convenu et très encadré m’a toujours mis mal à l’aise. Ceci était plus une digression critique sur les règles incontournables et immuables de la sphère estudiantine (j’entends ma mauvaise conscience me souffler : "Alors ne te plains pas d’avoir abandonné ta maîtrise, par deux fois pour ne rien arranger, crétin!"), qu’un bémol attribué injustement à Jean-Philippe Petesch. Ce qui aurait été pure mauvaise foi puisque toutes ces pages liminaires offrent des outils de lecture et de compréhension essentiels ("C’était bien la peine de râler contre les convenances pour camoufler ta mauvaise volonté, trouduc!", dixit ma mauvaise conscience). Reste pourtant ce malaise didactique que j’aurais préféré voir allégé, à l’occasion de la publication en livre, en théorie plus permissive.
Pour dégager les thèmes, l’auteur a eu recours, avec les faiblesses que cela suppose, à une recherche informatique par occurrence des mots. Bien que quelque peu alourdie de chiffres, elle n’a pourtant pas été inutile et, je n’ajouterai pas une dernière pique en admettant que c’est une approche méthodologique que l’auteur était quelque part obligé de rendre compte, un premier pas pour constituer une cohérence du "discours" (un des termes du glossaire) entre les albums d’Iron Maiden. Pour la bonne cause donc. Petite précaution générale de l’auteur, il insiste sur l’aspect subjectif de ses interprétations (celle d’"Iron Maiden" est à retenir) et appelle à prendre tout autant en considération celles qui ne seront logiquement pas mentionnées. Quelques thèmes sont attendus puisque fréquents dans le heavy metal (la mort, la guerre, l’occultisme…) mais leur traitement n’aura qu’un seul but, démontrer qu’Iron Maiden ne les a jamais utilisés par provocation ou gratuitement. Petite parenthèse sur le sexe et l’amour, thèmes clichés par excellence, ils apparaîtront presque inexistants dans le "discours" du groupe, sinon à quelques petites exceptions, "saga Charlotte" ("Charlotte The Harlot", "Twilight Zone", "22 Acacia Avenue", "Hooks In You" et "From Here To Eternity") en tête, mais aussi parfois avec un sérieux inhabituel sur les sujets ("Wasting Love" est l’exemple le plus représentatif).
Suit la présentation des références directes, qu’elles soient historiques ("Run To The Hills", "Alexander The Great"…), bibliques ("The Number Of The Beast"), mythologiques ("Flight Of Icarus"), littéraires ("The Rime Of The Ancient Mariner", "Brave New World ") ou cinématographiques ("Man On The Edge", "The Wicker Man"). Bien que certaines références soient évidentes, ne pensez pas que l’auteur enfonce les portes ouvertes en ne faisant que rappeler leur provenance. Elles seront par la suite développées et l’on verra qu’elles sont rarement utilisées telles quelles, servant ainsi de base acceptant habiles modifications et détournements opérés par les différents paroliers. D’autre part, la majorité des références historiques ont été pour moi une découverte totale, particulièrement celles de "The Trooper" ou d’"Aces High". M’avaient également échappé, entre autres, que la saga d’Alvin The Maker d’Orson Scott Card était la source directe d’une partie de Seventh Son Of A Seventh Son et que "Hallowed Be Thy Name" évoquait presque, à défaut de confirmation de la part de Steve Harris, explicitement Le Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo.
Jean-Philippe Petesch nous offre parfois d’agréables bonus et je ne peux omettre l’enrichissante explication de texte de "Revelations" (extrait d’une interview de Bruce Dickinson dans Enfer Magazine n°8, décembre 1983, placée en note de fin de chapitre). Entre indéniablement dans cette catégorie l’intervention extérieure d’Emmanuel Haeussler, interlude de trois pages, qui propose un parallèle inattendu dont je vous laisse la découverte.
Cette richesse intertextuelle (interquoi ?), inaperçue du grand public, plus effrayé par Eddie et ses "mises en situation" (ou plus simplement par ces-chevelus-avec-leurs-guitares-qui-font-n’importe-quoi-moi-je-préfère-Whitney-Houston), contribue grandement, et en toute objectivité, a démontrer l’originalité du groupe de Steve Harris. Mais, détrompez-vous, le corpus étudié recèle plus que des références à des œuvres déjà existantes. Certaines paroles se basent sur le statut du groupe au fil des années qu’ils soient adulés ("Powerslave", lors de l’âge d’or éprouvant des années 80) ou critiqués ("Virus", réponse acide aux journalistes anti-Bayley). Les préoccupations humaines et contemporaines ne passent pas à la trappe, elles sont même associées à un questionnement beaucoup moins superficiel qu’on pourrait le penser. En témoignent la cohérence thématique et introspective des albums The X-Factor et A Matter Of Life And Death. "Afraid To Shoot Strangers", inspiré par la guerre du Golfe, est un de ces titres mal compris dont le plus célèbre reste "The Number Of The Beast" (au numéro 668 vous trouverez "The Neighbour Of The Beast"), qui ne serait qu’une transposition d’un rêve de Steve Harris. Première composition de Nicko McBrain, "New Frontier", prend, elle, une position controversée sur le clonage etc. Sans être un groupe adepte des protest-songs, quelques morceaux d’Iron Maiden peuvent entrer dans cette catégorie ("Run To The Hills", "Holy Smoke", "Fear Is The Key" ou encore "Childhood’s End").
Avant de conclure, je me permet de dire que j’ai détecté quelques erreurs, mais je les omets, tout ceci étant déjà trop long pour y inclure du chipotage d’intérêt moindre.
Même si je pense qu’aux yeux des trois quarts des fans, ce qui prime c’est l’instrumentation des morceaux et des atmosphères qu’elle transcrit, la question du didactisme des paroles, voulue ou non, est très pertinente (si on faisait une recherche informatique du même type sur mes articles, mais je n’ai pas assez souffert avant d’être une star, ce mot sortirait, avec "choucroute", en bonne place) tout autant que la distinction entre "fan" et "afficionado" (il est bien évidemment permis de penser qu’il existe des nuances) établie dans le glossaire. Grâce aux mélodies et la voix de Bruce Dickinson (si vous êtes sceptiques, faites donc la comparaison entre les versions studios et live de "Phantom Of The Opera" et "The Clansman"), les chansons de Maiden selon moi parlent plus aux tripes qu’à l’intellect. Ce qui ne signifie pas pour autant que les interprétations de Jean-Philippe Petesch ne m’ont rien apporté, bien au contraire. J’ai refermé le livre avec satisfaction, content d’avoir pu lire une mini-encyclopédie intégralement consacrée à un groupe de cette envergure, me confortant ainsi dans un choix musical qu’il m’a parfois été difficile à assumer.
Note: pour être tout à fait honnête, je dois la blague sur "le voisin de la Bête" à Whitfield Crane, ex-chanteur de feu Ugly Kid Joe qui faisait part dans une interview des titres non retenus pour intituler ce qui reste le dernier album de la formation, Motel California (1996).
Merci à Taly et à Camion Blanc.
Et à Carméline qui m'a permis de faire de plus longs articles.
Iron Maiden - Morceaux d'esprit: Thèmes et origines des chansons de la Vierge de Fer, Jean-Philippe Petesch, Camion Blanc, 2008, 32€.
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